La forêt de Lunareth, autrefois vibrante de magie, semblait figée dans un silence oppressant. Les cendres de la cabane de chasse fumaient encore, et l’odeur âcre du bois brûlé se mêlait à celle du sang.
Kael gisait immobile, sa hache à ses côtés, ses yeux fixes tournés vers un ciel qu’il ne verrait plus. Lyra, agenouillée près de lui, sanglotait en silence, ses mains tremblantes couvertes du sang du forgeron. Mira, recroquevillée contre un arbre, serrait la pierre noire contre sa poitrine, ses larmes traçant des sillons sur son visage poussiéreux.
Ares, debout au milieu des débris, fixait le corps d’Eryndor, le Premier Mage, dont les yeux violets, désormais éteints, semblaient encore le défier.
Un avatar, pensa Ares, ses sens cosmiques captant une trace d’énergie qui n’appartenait pas à ce monde. Ce n’était pas juste un mage. Quelque chose de plus grand l’habitait.
Il sentit à nouveau cette présence lointaine, plus forte cette fois, comme un murmure dans le tissu du multivers. Rhasmeltor… Le nom lui vint instinctivement, bien qu’il ne sache pas d’où. Une ombre, un écho d’une puissance qui rivalisait avec celle de son ancien clan, les Éternels. Ils me traquent. Et ils veulent la pierre.
« Ares ! » La voix de Lyra, rauque de douleur, le tira de ses pensées. Elle se releva, les poings serrés, ses yeux verts brûlant de colère. « Tu pouvais l’arrêter ! Pourquoi t’as laissé Kael mourir ? »
Ares haussa un sourcil, son ton froid masquant une pointe d’agacement. « Je ne suis pas un dieu, Lyra. Pas pour vous, en tout cas. Kael a choisi de jouer les héros. C’est pas ma faute si vos mortels sont si… fragiles. »
Lyra s’avança, le défiant du regard. « Fragiles ? C’est tout ce que t’as à dire ? Il est mort pour nous protéger, pour protéger elle ! » Elle pointa Mira, qui sursauta, serrant la pierre encore plus fort.
Ares soupira, croisant les arms. « Écoute, je suis désolé pour ton ami. Vraiment. Mais pleurnicher ne va pas le ramener. Et si tu veux éviter que d’autres finissent comme lui, on doit bouger.
Voryn va envoyer du renfort, et je doute qu’il se contente de mages de seconde zone cette fois. »
Mira, la voix tremblante, murmura : « C’est ma faute… Si je n’avais pas trouvé cette pierre… »
Ares se tourna vers elle, son expression adoucie, mais seulement légèrement. « Gamine, arrête de t’apitoyer. Cette pierre est plus importante que tu ne le crois. Et si tu veux honorer ton forgeron, tu vas me dire tout ce que tu sais sur elle. Maintenant. »
Lyra s’interposa, protectrice. « Laisse-la respirer, Ares ! Elle vient de voir quelqu’un mourir ! »
Ils sont si émotifs, pensa Ares, agacé mais intrigué par leur loyauté. Ça les rend faibles… mais aussi imprévisibles. « D’accord, prenez votre temps pour pleurer. Mais pas trop longtemps. Cette pierre attire des ennuis qui dépassent vos petits conflits de guildes. »
Sous la direction d’Ares, le trio quitta les ruines de la cabane, laissant le corps de Kael derrière eux.
Lyra avait insisté pour lui offrir un semblant de sépulture, couvrant son corps de branches et murmurant une prière à une divinité locale. Ares, bien qu’impatient, n’avait rien dit, observant avec une curiosité détachée.
Ils s’accrochent à leurs rituels. Comme si ça changeait quoi que ce soit.
Ils s’enfoncèrent plus profondément dans la forêt, guidés par Lyra, qui connaissait un réseau de grottes utilisé par des contrebandiers pour échapper au Conseil. Les grottes, humides et éclairées par des cristaux luminescents, dégageaient une aura de magie ancienne, similaire à celle des ruines. Mira, épuisée, s’assit sur une stalagmite, la pierre noire toujours dans ses mains.
« Elle parle encore », murmura-t-elle, presque pour elle-même. « Elle dit… qu’elle doit être protégée. Qu’elle est un ‘cœur du multivers’. »
Ares s’immobilisa, son regard s’aiguisant. Un cœur du multivers ? Il connaissait les légendes – des artefacts si rares qu’un seul existait par multivers, des fragments d’énergie primordiale capables d’amplifier la puissance d’un clan au-delà de l’imaginable. Si Rhasmeltor veut cette pierre, c’est pour écraser les Éternels. Et il commence par moi, le paria. Il garda cette pensée pour lui, mais son esprit s’emballait. Un avatar comme Eryndor était faible. Mais l’Ombre… elle sera plus dangereuse.
« Un cœur du multivers ? » répéta Lyra, sceptique. « Ça veut dire quoi ? »
Ares haussa les épaules, jouant l’ignorance. « Probablement une métaphore. Vous savez, les artefacts adorent les noms grandioses. » Mais son ton cachait une tension. Si cette pierre est ce que je pense, elle pourrait me rendre plus fort… ou me détruire.
Mira leva les yeux, sa voix tremblante mais déterminée. « L’étranger… celui qui m’a parlé de la pierre… il a dit qu’elle pouvait ouvrir des portes. Des portes vers d’autres mondes. »
Ares sentit un frisson, pas de peur – jamais de peur – mais d’excitation. Des portes. Bien sûr. Un accès direct au multivers. « Et cet étranger, il t’a donné un nom ? »
Mira secoua la tête.
« Non. Mais il… il m’a fait peur. Ses yeux changeaient, comme s’ils voyaient tout. »
Lyra, toujours vigilante, intervint : « On dirait un mage des Seigneurs de l’Ombre. Ils utilisent des sorts de divination. Mais pourquoi s’intéresser à Mira ? »
Parce qu’elle a trouvé quelque chose qu’ils ne comprennent pas, pensa Ares. Et moi non plus, pas encore.
« Peu importe qui il était. Ce qui compte, c’est qu’on garde cette pierre hors des mains de Voryn… et des autres. »
Alors qu’ils s’enfonçaient dans les grottes, un grondement sourd résonna, et le sol trembla. Les cristaux luminescents s’éteignirent, plongeant le trio dans l’obscurité.
Une voix, froide et métallique, s’éleva, semblant venir de partout et de nulle part. « Vous ne pouvez pas fuir l’Ombre. »
Ares sentit une vague d’énergie familière, mais plus puissante que celle d’Eryndor. Un autre avatar, pensa-t-il, son sang-froid intact mais ses sens en alerte. Rhasmeltor envoie ses pions.
Une silhouette émergea des ténèbres, massive, drapée d’une cape noire qui semblait absorber la lumière. Ses yeux brillaient d’un éclat argenté, et son aura était suffocante, même pour Ares. « La pierre », gronda la silhouette. « Donnez-la-moi, ou ce monde brûlera. »
Lyra dégaina sa dague, mais ses mains tremblaient.
« Qui es-tu ? »
L’Ombre – car Ares savait que c’était elle, un avatar bien plus puissant qu’Eryndor – ignora Lyra, fixant Ares. « Toi. Le paria. Tu es faible. Un déchet, même pour les Éternels. Rends la pierre, et je te laisserai vivre… pour l’instant. »
Ares éclata de rire, un son grave qui résonna dans la grotte. « Un déchet ? Oh, j’ai entendu pire. Mais si tu penses que je vais te donner quoi que ce soit, tu vas être déçu. »
L’Ombre leva une main, et une vague d’énergie noire s’abattit, faisant trembler les parois. Mira cria, tombant à genoux, la pierre glissant de ses mains. Lyra plongea pour la récupérer, mais une chaîne spectrale la cloua au sol. Ares, rapide comme la pensée, projeta un bouclier d’énergie autour des deux femmes, mais l’effort le surprit. Cet avatar est fort.
Trop fort pour un simple pion.
« Dernière chance, paria », dit l’Ombre, sa voix vibrant d’une puissance qui semblait ébranler la réalité elle-même.
Ares sourit, mais ses yeux brûlaient d’une lueur dangereuse. « Tu veux jouer ? Allons-y. » D’une pensée, il déchaîna une fraction de son pouvoir destructeur, faisant exploser le sol sous l’Ombre.
La grotte trembla, des stalactites s’écrasant autour d’eux. L’Ombre vacilla, mais ne tomba pas, ripostant avec une vague d’énergie qui força Ares à reculer.
Lyra, libérée des chaînes, attrapa la pierre et la tendit à Ares.
« Fais quelque chose ! »
Ares saisit l’artefact, et une vision l’envahit : une entité colossale, Rhasmeltor, dominant un multivers de cendres, ses yeux fixés sur lui. Tu es le premier, paria. Le plus faible. La voix résonna dans son esprit, puis s’évanouit.
L’Ombre, affaiblie, disparut dans un éclat de lumière noire, laissant un avertissement : « L’Ombre reviendra. Et le cœur sera à nous. »