Pun demanda à PAG pourquoi il refusait de venir vivre au village avec eux, préférant s'enfoncer dans la solitude de la forêt. Okulu éclata de rire et lança :
— Pun, laisse ce gars. C'est juste qu'il ne connaît pas ce que ça fait de vivre en ville… ou de dormir dans la chaleur des bras d'une femme.
Les trois amis éclatèrent d'un rire franc, à gorge déployée. PAG, après avoir pris une profonde inspiration, répondit calmement :
— Apprends-moi à vivre comme un homme de la ville.
Pun le regarda, surpris.
— Tu es sûr de ce que tu dis ?
Okulu, les yeux écarquillés, s'exclama :
— Si un nganga m'avait dit que j'allais t'entendre dire ça, je lui aurais mis une gifle, à lui et à son animal de compagnie !
Pun posa ses mains sur les épaules de PAG, un sourire large au visage :
— Cette journée est pour toi, mon ami. Je vais te faire goûter à tout, te montrer la vraie vie !
Les trois décidèrent alors de célébrer ce tournant. Ils sortirent de la maison pour se rendre au bar le plus proche. Rires, chants, et bonne humeur accompagnaient leurs pas. Mais dans l'ombre, quelqu'un les observait…
Au Palais de Ngou
Pendant ce temps, au palais du Roi de Ngou, une réunion importante avait lieu. Le Roi venait d'être informé de l'avancée d'un conflit. Un allié, qui avait juré de leur prêter main forte dans cette guerre qu'il jugeait lui-même absurde, leur faisait parvenir des nouvelles.
Ngou, petit royaume d'affranchis, existait depuis des générations sans jamais troubler l'ordre des royaumes du Nord. Ses habitants, venus de multiples horizons, avaient fait de ce lieu un symbole d'unité, un centre de pêche prospère, un sanctuaire pour les peuples nomades.
Mais les tensions grandissaient.
Le Roi, stratège prudent, avait chargé l'un de ses meilleurs généraux, Ndoman, de rejoindre les Sept Guerriers. Une décision politique autant que militaire : il était impensable que ce groupe d'élite agisse sur les terres de Ngou sans qu'il en ait le contrôle.
Ntole, chef du groupe, avait été convoqué en personne. Le Roi lui avait posé un ultimatum : intégrer Ndoman… ou perdre le droit d'opérer dans le royaume. En contrepartie, le Roi leur offrit une vaste maison pouvant accueillir plus de 300 personnes. Mais derrière cette générosité, une intention claire : s'assurer qu'en cas de guerre, les Sept Guerriers défendraient d'abord Ngou.
---
Le Fardeau de Ndoman
Ce jour-là, Ndoman retrouva enfin sa maison. Il avait tant à dire. L'expérience qu'il avait vécue restait gravée en lui. Cet étrange messager... il dépassait tout ce que Ndoman avait connu sur les champs de bataille.
Pour la première fois de sa vie, il avait ressenti la peur. Une peur sourde. La mort était là, palpable.
— Pourquoi ai-je ressenti le souffle de la mort, alors que cet homme n'était venu que pour nous donner des pierres ?…
Mais au fond, il n'y croyait pas. Il se souvenait d'un détail : le messager avait tendu la main. Un frisson l'avait traversé. Puis l'homme avait fermé les yeux, comme en attente d'un ordre… et les pierres étaient apparues. Pourquoi ne les avait-il pas tués ? Il ne comprenait pas.
Au centre d'entraînement de Ngou, les soldats s'exerçaient. Soudain, des pas approchèrent. Tous se tournèrent vers la silhouette qui entrait : c'était Ndoman. Parmi eux, un vétéran au bras amputé s'avança. Mero, son ancien maître. Les deux hommes se saluèrent selon le rituel militaire.
Ndoman jeta un coup d'œil par-dessus son épaule.
— J'ai l'impression qu'on me suit depuis mon retour au village…
---
Chez Ntole et Avome
Dans le foyer calme de Ntole et Avome, Ntole racontait à sa compagne ce qu'il avait vu durant sa rencontre avec le messager.
— C'était flou, mais… j'ai vu un homme assis, face à des miroirs clairs. Dans ces miroirs, des scènes d'un autre temps, des paysages magnifiques. Puis, d'un coup… tout a changé. L'homme s'est levé. Les miroirs sont devenus flammes. Il a couru vers moi. Et là… je me suis réveillé.
Avome le regarda, troublée. Ntole soupira :
— Il m'a aussi dit de…
Il s'interrompit. Un bruit. Un battement d'ailes se rapprochait.
Ils reconnurent immédiatement l'animal : Eye, l'oiseau de Lopé. Pour les Sept Guerriers, Eye était bien plus qu'un simple animal. C'était, selon Lopé, son propre frère, victime d'une malédiction. Quand Eye apparaissait, c'était qu'un danger se profilait.
Eye se posa devant la maison et poussa son cri d'alerte :
— Ouah ! Ouah ! Ouah !!!
Le signal était clair. Ntole se leva, attrapa son panier, y rangea ses outils. Avome, bien que meurtrie de le voir repartir à peine arrivé, lui prit la main et l'embrassa doucement.
La Course contre le Temps
Eye arriva chez Mitorg. N'ayant pas accès directement à la chambre, il attendit qu'un membre de la famille s'en approche. L'aînée des enfants, apportant un repas, ouvrit la porte. Eye fonça, entra dans la pièce, se posa sur le ventre de Mitorg et poussa à nouveau son cri.
Mitorg se redressa aussitôt, prit son masque et son équipement. Il sortit discrètement, car pour tous, il était un infirme. Le masque protégeait son identité. Sa sœur, entendant le cri de l'oiseau, entra… mais la chambre était vide.
Pendant ce temps, Ntole et Mitorg couraient à travers les ruelles, guidés par l'appel d'Eye. La sœur de Mitorg aperçut dans l'ombre un homme étrange. Il ne semblait pas être là par hasard.
Eye, quant à lui, vola jusqu'à la maison d'Okulu et Pun. Il ne trouva personne. Mais il tomba sur un homme vêtu d'une robe rouge marquée d'un étrange symbole. Ce n'était pas un simple bijou : ce symbole trahissait une appartenance, une doctrine. L'homme ne semblait pas hostile, mais son intrusion n'était pas anodine.
Eye, frustré par le temps qui pressait, se rappela des habitudes d'Okulu et Pun. S'ils n'étaient pas à la maison… ils étaient sûrement au bar.
Retour au Bar
PAG, Okulu et Pun riaient. Okulu venait d'acheter une calebasse de vin de canne à PAG, bien décidé à le faire boire malgré ses protestations.
— Je n'ai jamais bu d'alcool de ma vie, répétait PAG.
Okulu, hilare, lança en rythme :
— Bois ! Bois ! Bois !
Un à un, les clients du bar reprirent en chœur :
— Bois ! Bois ! Bois ! Bois !
Eye arriva, planant au-dessus des cimes tel un messager des anciens temps. Il poussa son cri d'alerte, un son strident, déchirant le ciel et le silence des collines. Ce n'était pas un simple cri : c'était un appel sacré, un signal qui traversait la chair et réveillait les instincts. Ceux qui l'avaient déjà entendu savaient — quelque chose de grave se tramait.
Aussitôt, PAG, Pun et Okulu laissèrent leur vin de canne à peine entamé. Leurs regards se croisèrent un bref instant, graves, silencieux. Sans un mot, ils prirent la direction de la maison des victimes. Contrairement aux autres villageois, eux ne portaient jamais leurs armes. Elles reposaient dans un endroit secret, enfoui au cœur de la forêt, sous la garde d'un esprit discret. Un choix ancien, hérité de leurs anciens maîtres — pour ne jamais souiller le quotidien par la guerre, mais toujours y revenir prêts.
Eye, dans un dernier tourbillon d'ailes, s'éleva vers les hauteurs, scrutant les mouvements d'en bas. Sa mission touchait à sa fin. Déjà, il voyait les silhouettes se dessiner dans la pénombre du chemin : Ntole, Mitorg, PAG, Pun, Okulu… Tous accouraient.
Lopé, le plus rapide d'entre eux, avait déjà atteint le lieu du danger. Il se tenait droit, immobile, ses yeux fixés sur quelque chose d'invisible pour les autres. Le souffle de la forêt s'était tu. Même les insectes semblaient attendre.
Il ne manquait plus que Ndoman.
Mais Ndoman… était-il seulement en route ?
Ou avait-il senti quelque chose… de plus ancien ? De plus sournois ?
Dans l'ombre, une présence bougeait — quelque chose de tapi, d'oublié, qui n'aimait pas être réveillé.