Port-au-Prince, 2h17 du matin.
Les ruelles étroites de Delmas s'étouffaient dans un silence pesant. Une brise humide glissait sur le béton fissuré, comme un avertissement muet.
Dans un entrepôt abandonné, Lamar — un homme dans la cinquantaine, grand et massif, à la peau sombre et aux cheveux noirs soigneusement coupés — attendait. Son visage était marqué par les années et les luttes : rides profondes, mâchoire carrée. Chef redouté du gang Serpent Rouge, il était venu rencontrer un nouveau contact. Une alliance fragile pour sécuriser un territoire.
Mais ce n'était pas une négociation… c'était un piège.
Tout bascula en quelques secondes. Des hommes armés surgirent de l'ombre, masqués, précis, sans sommation.
— Abattez-les ! cria l'un d'eux.
Les balles fusèrent. Les membres du Serpent Rouge tombaient un à un. Lamar riposta, blessé mais déterminé. Il lutta jusqu'au bout, porté par sa loyauté. Mais ils étaient trop nombreux. Une balle en plein cœur le renversa.
Dans un dernier souffle, il murmura :
— Je savais qu'un jour comme celui-là finirait par arriver… mais pas si tôt. Je n'ai même pas pu dire adieu à mon fils…
Pas de traître visible. Pas de visage connu. Juste la mort, froide et brutale.
Pendant ce temps, Kazar, fils unique de Lamar, attendait son père chez lui. Jeune homme de vingt ans, à la peau claire, aux yeux bleu ciel et aux cheveux roux tressés, il ignorait que son destin venait de basculer.
Quand la nouvelle tomba, ce fut un choc. Une douleur sourde. Puis, une flamme nouvelle s'alluma dans ses yeux.
Il cria, la voix tremblante de rage :
— On est les Serpents Rouges. On n'est pas morts. On ne fait que muer !
La mort de Lamar n'avait pas laissé qu'un vide. Elle avait transformé Kazar. Le jeune rêveur s'était éteint. Un homme dur et impitoyable était né. À ses côtés, Wendy, son fidèle second, comprit cette métamorphose.
Ensemble, ils reprirent les ruelles de Delmas, une par une. Kazar ne voulait plus survivre. Il voulait dominer, écraser toute opposition. Sous sa direction, le Serpent Rouge devint une force implacable. La violence devint une arme. La peur, un outil. Le respect, une obligation.
Kazar inspirait autant la crainte que l'admiration. Ce n'était plus un gang. C'était un empire, bâti sur la colère et la vengeance.
Un soir, Kazar se tenait au sommet d'un immeuble, là même où son père avait été tué. En bas, un gang rival s'était installé, défiant les Serpents Rouges.
Sans hésiter, il descendit, Wendy à ses côtés. Ils encerclèrent les ennemis. Kazar s'avança et dit d'une voix glaciale :
— Vous avez choisi la guerre. Vous allez goûter à notre colère.
Le chaos éclata. Les coups pleuvaient. Les cris résonnaient. Kazar frappait sans pitié. Ce soir-là, un message fut clair : les Serpents Rouges étaient de retour.
Delmas trembla sous leur règne.
Kazar ne voulait pas s'arrêter là. Après avoir conquis tout Delmas, il visait la capitale entière. Trois mois plus tard, son nom résonnait comme une menace. Il avait effacé de la carte les gangs les plus puissants.
Il grimpa rapidement dans le classement national des dix gangs les plus influents d'Haïti, selon leurs effectifs, leurs exploits et leurs richesses. Kazar atteignit la première place. Il avait des alliés partout : dans le gouvernement, aux douanes. Son emprise s'étendait.
Un jour, un ancien contact de Lamar l'informa de l'identité de celui qui avait organisé la fausse rencontre. Kazar décida de s'en charger lui-même.
— Je vais venger mon père ! déclara-t-il avec un sourire aux lèvres.
— Prépare-toi, répondit Wendy d'un ton grave. La vengeance de Lamar commence.
L'excitation gagna les troupes. Dans la salle, un des membres cria :
— On va les buter, ces enfoirés !
— OUI ! hurlèrent les autres.
Guidés par leur contact, ils trouvèrent la maison du complice. Ils kidnappèrent sa femme et ses enfants. Wendy, expert en torture, lui arracha la vérité : c'était le gang des Serpents Blancs, aussi appelés Southern Serpents, dirigé par Snoly, numéro 3 du classement national, connu pour sa force brutale.
Kazar déclara :
— Je ne vais pas les prendre par surprise. Je veux qu'ils sachent que je viens.
Une guerre sanglante s'annonçait.
Les Southern Serpents tentèrent de fuir par le département du Centre. Mais Kazar les intercepta près de la rivière Guayamouc.
— Avancez ! Ne vous arrêtez pas ! hurla Kazar. On va venger mon père !
La bataille fut brutale. Victoire écrasante pour les Western Serpents. Snoly, grièvement blessé, tenta de fuir. Les hommes de Kazar l'amenèrent à lui.
— Je suis innocent ! Ce qu'on vous a dit est faux ! Prenez tout, mais laissez-moi la vie sauve ! supplia Snoly.
— C'est exactement ce que mon père a dit avant que vous lui ôtiez la vie, répondit Kazar d'une voix glaciale.
Il lui tira une balle en pleine tête.
Ils passèrent la nuit dans un motel près de la rivière. Kazar ignorait que Wendy lui réservait une trahison brutale.
Pendant que les troupes festoyaient, Wendy invita Kazar à parler près de la rivière, loin des autres. Là, un sbire surgit et le maîtrisa.
— Qu'est-ce que vous faites ?! Lâchez-moi ! cria Kazar.
— Wendy, attrape-moi ce connard ! hurla-t-il, inquiet.
Mais Wendy répondit calmement :
— Tu ne comprends pas, mon ami. C'est lui qui m'obéit. Il t'a trahi.
— Non… Wendy ne ferait jamais ça… dis-moi que ce n'est pas vrai…
— Tais-toi ! gronda Wendy. Tu n'as jamais vu que je voulais être chef ? Monsieur a été nommé à cause de son nom… Fils de Lamar !
Kazar, paniqué, tenta de se libérer. Wendy lui donna une gifle.
— Tu vois cette rivière ? Personne ne vient ici pendant cette saison. Si je te jette dedans après t'avoir brisé les os, tu mourras noyé et ton corps ne sera jamais retrouvé.
— Exécution, ordonna-t-il à ses sbires.
— On est amis depuis toujours… gémit Kazar.
— Tu cries comme un gamin, ricana Wendy.
— Chef, on a fini de lui casser les jambes ! annonça un homme.
— Jetez-le à la rivière.
Et alors qu'il tombait, Wendy abattit froidement ses complices pour effacer toute trace.
De retour au motel, il annonça :
— Kazar s'est noyé. On s'est baignés ensemble, et il n'est jamais remonté…
Wendy, devenu numéro 2, se proclama nouveau chef des Western Serpents.
Le lendemain, un pêcheur aperçut un corps échoué sur les côtes du Cap-Haïtien. Il appela les secours.
Kazar était vivant.